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Origine : http://www.revuerespublica.com/index.php3?page=livres/critique&id=5
Comment comprendre les changements opérés par le
capitalisme depuis le début des années 1970 ainsi
que le rapport entretenu avec la «critique» ? Avec Le
nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello nous
offrent une analyse synthétique des «changements idéologiques
qui ont accompagné les transformations récentes du
capitalisme» (p. 35). Décrivant le capitalisme comme
une forme historique «parfaitement détachée
de la sphère morale» (p. 58) dont le seul objectif
est l'accumulation du capital, les auteurs analysent comment s'est
constitué un nouvel esprit du capitalisme à partir
de la récupération des exigences proférées
par la critique. Dans cette perspective, Boltanski et Chiapello
identifient deux types de critique agissant souvent ensemble mais
ayant des exigences différentes : la critique artiste et
la critique sociale. La première s'associe à un mode
de vie bohème mettant en avant la perte de sens (du beau
et du grand) ; la seconde est inspirée du socialisme et vise
l'égoïsme des intérêts particuliers.
C'est grâce à la récupération de la
critique artiste — dont Mai 68 est l'expression majeure —
que le capitalisme s'est revivifié en intégrant les
exigences mêmes qu'il semblait refuser. En abandonnant le
modèle fordiste de l'organisation du travail, le nouvel esprit
du capitalisme a su neutraliser la critique en sapant les bases
mêmes de son argumentation. Si bien que sa restructuration
s'est faite alors que la critique était incapable de déceler
les nouvelles formes de son organisation. «Les dangers que
court le capitalisme quand il peut se déployer sans contrainte
en détruisant le substrat social sur lequel il prospère
trouvent un palliatif dans la capacité du capitalisme à
entendre la critique qui constitue sans doute le principal facteur
de la robustesse qui a été la sienne depuis le XIXe
siècle.
Or la fonction critique (voice), qui n'a aucune place à
l'intérieur de l'entreprise capitaliste, où la régulation
est censée être opérée uniquement par
la concurrence (exit), ne peut s'exercer que de l'extérieur.
Ce sont donc les mouvements critiques qui informent le capitalisme
sur les dangers qui le menacent. Leur rôle est rendu particulièrement
nécessaire par la tendance du capitalisme à échapper
à la régulation marchande et donc à la régulation
par la concurrence (exit) dont la mise en réseau constitue
aujourd'hui l'expression. Mais ce type de régulation par
le conflit se fait à un prix très élevé,
acquitté surtout par ceux qui prennent en charge la critique
et lui prêtent leur voix» (p. 617).
Ainsi, Luc Boltanski et Eve Chiapello nous invitent à comprendre
les transformations opérées par ce nouvel esprit du
capitalisme et à relancer, de manière efficace, ces
deux critiques complémentaires.
Eduardo Rihan Cypel
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